mardi 21 janvier 2014

Le Miel, Slobodan Despot, Gallimard


"Il est des pays où les autobus ont la vie plus longue que les frontières"

   Cette première phrase du roman, si simple en apparence, évoque une telle puissance littéraire qu'elle donne envie de découvrir sa signification. De quelles frontières parle-t-on dans ce roman? De celles mouvantes et douloureuses de la Yougoslavie. 

   Véra, une herboriste qui soigne les gens par les plantes et dispense sagesse et philosophie au sein de son cabinet, tombe un jour en descendant d'un bus en panne sur un drôle de duo: un jeune homme s'énervant sur le moteur d'une automobile en panne et menaçant un vieillard à l'intérieur. Pour réparer la voiture ils ont besoin d'argent que Véra leur avance sans savoir pourquoi. Quelques jours plus tard, le fils se présente à son cabinet et lui rembourse l'argent mais lui offre aussi un bidon de miel. Intriguée par ce personnage improbable elle recueille le récit de son aventure, étrangement liée à celle de ce bidon de miel.
   Lorsque la Croatie proclame son indépendance, Nikolaï, apiculteur, se retrouve seul sur sa colline. Son fils aîné, Dusan, s'est engagé dans l'armée serbe tandis que le cadet, Vesko, travaille dans une entreprise d'état et vit avec sa famille à des kilomètres de là. En 1995, lorsque l'unité de Dusan, bat en retraite, il s'enfuit et part vivre chez son frère. Ils se rendent compte qu'ils n'ont plus de nouvelles de leur père depuis un moment et lorsqu'ils tombent sur une vidéo de soldats pillant et brûlant le village de Nikolaï les deux frères s'inquiètent sérieusement. Grâce à un contact, Mikhaïl, ils arrivent à obtenir des faux papiers et un laisser-passer de l'ONU, afin de traverser les régions en conflit et aller chercher ce père. 

  A travers cette épopée en apparence burlesque, c'est un conflit violent et l'absurdité de celui-ci qui se dessine en toile de fond. Des hommes qui avaient été à la même école, avaient fréquentés les mêmes lieux, habitaient le même quartier, s'entre-tuent pour des raisons ethniques, pour un bout de terre. "Si on lui avait dit, alors, que ses camarades de camping n'étaient pas de la même ethnie que lui! Quelle rigolade!Même les Macédoniens et les slovènes étaient des "nôtres"; du reste ils parlaient tous serbo-croates." Oui, mais voilà, les "nôtres" sont devenus "eux", "ils", "les autres". Et même le miel, au vertus pourtant réputées cicatrisantes, ne peut adoucir toutes les plaies.

   Premier roman d'un éditeur et traducteur de talent, "Le Miel" est un véritable petit bijou à la langue fine et ciselée. La juste dose de recul, de poésie et d'humour pour traiter d'une sujet encore douloureux aujourd'hui. L'intelligence et le talent pour guider une plume magnifique au service d'un texte époustouflant. Un véritable bijou!

"Il y a d'avantage d'intelligence dans un essaim d'abeilles que dans n'importe quelle assemblée humaine, lui disait son père. Bien mieux: l'essaim est une personne, dont chaque abeille est une cellule. Nous nous croyons la seule espèce dotée d'esprit, parce que nous pouvons voir les contours de l'individu humain. L'intelligence du monde nous échappe parce que nous sommes trop petits pour voir ses contours."

Illustration du Tacuinum sanitatis XIVème siècle 



samedi 11 janvier 2014

Elle a disparu, Gwendolen Gross, Liana Levi



"M. Leonard fut la dernière personne à voir Linsey Hart, dix-sept ans, avant qu'elle ne disparaisse dans la moiteur bleutée d'un matin de fin d'été."

Prenez un quartier résidentiel de la middle class américaine, voisins aimables, sourires aussi blancs et figés que les façades des maisons, herbes tondue à 4cm tous les dimanche par un homme avec un joli polo. Linsey Hart vit dans ce quartier avec ses frères, Toby et Cody, des jumeaux que sa mère a eu avec son beau-père. Un remariage qui est un premier grain de sable dans cette machine bien huilée. Dans quelques jours elle doit partir pour l'Université. Un excitation mêlée de nostalgie se lit dans les yeux de sa mère, Abigail. Des projets, l'avenir, un nouveau départ. 
Sauf que, ce matin-là Linsey ne se rend pas à la crèche où elle effectue son job d'été. Sauf que, la dernière personne à l'avoir vue est un voisin étrange, mutique, qui joue du piano à 5h du matin. Sauf que, cette disparition ramène Abigail des années en arrière lors de la perte d'un autre enfant.
Et voilà les façades proprettes qui se fissurent. On découvre ce qui se trame derrière chacune: la mère au foyer qui retrouve un regain de jeunesse avec son amant à peine majeur, serveur au Starbuck, l'ex-petit ami qui a toujours des sentiments profonds pour Linsey, Geo, le jeune voisin vivant dans son monde, pendu à son appareil photo qui recèle peut-être la clé de cette disparition.

Premier roman traduit en français de l'auteure américaine Gwendolen Gross, ce tableau cinglant de l'american way of life vaut le détour. Roman choral permettant de percer au mieux les secrets de chacun, ce fait divers révèle bien plus qu'il ne devrait. Très inspiré dans sa narration des bonnes séries américaines, l'écriture est aussi très poétique. Ce roman à suspense se lit d'une traite comme on se laisse embarquer dans un bon film.





mardi 7 janvier 2014

L’écrivain fantôme, Zoran Živković, Galaade


"Bien plus que par le nom de l'auteur, la paternité d'une oeuvre est déterminée par la manière d'écrire. Laquelle est comme une empreinte digitale, et il n'y a pas deux empreintes digitales identiques. On devinerait facilement qui se profile derrière ce roman."

Est-on capable de reconnaître un auteur en lisant seulement quelques lignes, quelques vers, illuminer son visage d'une conclusion holmésienne:" Mais bien sûr, c'est lui! " ? Si un auteur écrivait sous pseudonyme ou sous le patronyme d'un autre auteur, saurait-on déceler sa verve, son style, son rythme? 
Sous le regard de son chat Félicien, ce sont toutes les certitudes d'un écrivain qui vont être mises à mal lorsque cinq correspondants le harcèlent par mail. 
Le premier, un "admirateur secret", requiert ses services pour écrire un roman. Mais ici point de conseils d'écriture. Il lui demande tout simplement d'écrire un roman dont il s'attribuerait la paternité. Si le métier de ghost-writer existe depuis des siècles, visiblement cet écrivain-là n'envisageait pas d'emprunter cette branche un jour. A peine le temps de répondre que le tintinnabulement des sonneries annonçant l'arrivée de nouveaux mail se fait entendre. "Hautemer", écrivain narcissique et jaloux, le harcèle sur la question du pseudonyme en littérature. "Banana", qui lui envoie tous les mercredis le récit de ses rêves de la veille qui, pensent-elle, forment la trame d'un roman en devenir, le sollicite pour en écrire le chapitre final qui relierait ces éléments disparates entre eux et formerait un tout sensé." P-0", habitué à écrire des pastiches des nouvelles de l’écrivain le presse d'en produire d'autres pour continuer à alimenter sa source d'écriture. Enfin, "Pandora", une voisine âgée, implore de pouvoir lire à son chien mourant un roman dont il serait le héros, roman rédigé de la main de... vous devinez qui...
Vexé, énervé, furieux, l'écrivain sent un complot se former contre lui. Les réponses, au départ, pleine de diplomatie deviennent vite plus sèches, quand il ne tente pas de faire taire le correspondant en omettant de lui répondre. C'est sans compter sur l'acharnement de ces entités mystérieuses. 

Roman étrange possédant toutes les qualités pour séduire: un chat et de la littérature. On s'interroge avec l'écrivain sur ce qui constitue la paternité d'une oeuvre. Zoran Živković, auteur serbe, prend le parti de l'humour pour aborder ce thème séculaire, et le lecteur ne peut en sortir que satisfait, lui au moins, sait qui il est!




mercredi 1 janvier 2014

Le Village évanoui, Bernard Quiriny, Flammarion


"- Vous n'êtes plus des gens normaux. Vous êtes les acteurs d'une aventure inédite dans l'Histoire. Vous n'en avez pas conscience, mais la moindre de vos paroles, la moindre anecdotes sur la façon dont vous vivez sont importantes."

Qu'est-il arrivé à Châtillon-en-Bierre pour que Jérémy, un jeune auteur parisien, s'intéresse ainsi à la vie de ses habitants, recueille leurs témoignages, leurs récits, tel un sociologue ou un ethnologue étudiant une peuplade reculée du monde? C'est que ce village est bel et bien reculé du monde, complètement coupé plutôt. Et ce, depuis la nuit du 14 au 15 septembre 2012. Impossible d'y entrer ni d'en sortir. Les voitures calent sur la route, les communications avec l'extérieur (téléphone, mail, satellite) sont coupées et lorsque les gens tentent de sortir à pied du village un phénomène inexpliqué les fait errer indéfiniment sur la même route qui ne mène nulle part, il ne leur reste plus qu'à faire demi-tour pour rejoindre Châtillon. Le phénomène constaté et connu de tous les habitants, le maire organise une réunion d'urgence. Des questions fondamentales sont soulevées mais restent sans réponses: Pourquoi? Comment? et pour combien de temps? Il faut repenser toute l'organisation du village et les débat sont vifs: faut-il rationner la nourriture, le fuel? Faut-il mutualiser les ressources pour les partager équitablement? Les relations s'inversent. celui qui avant était pris de haut car, simple paysan, il n'avait de richesse que sa terre, son tracteur et ses quelques bêtes, devient l'objet de toutes les convoitises. Sans Internet, sans télévision, sans argent, ni moyens de communication, les valeurs du monde moderne s'effondre et tout est à repenser, un nouveau modèle de société est à inventer. C'est sans compter sur la nature humaine, ses faiblesses, son orgueil, sa lâcheté.

Quiriny, pour ce deuxième roman, continue d'explorer les hommes, leur fonctionnement en groupe révélatrice de leur nature profonde. Après "Les Assoiffées" où il mettait en scène une dictature d'Amazones au Bénélux, il offre ici une fable, une parabole originale et drôle au service d'un message intelligent. Réfléchir sur notre monde, nos contemporains, notre organisations, ce que nous pouvons faire pour agir et surtout penser... autant de choses qui séduiront les esprits éveillés. Lorsqu'en plus la plume de Quirniy le fait avec talent et humour, voilà un mélange parfait pour commencer cette nouvelle année!



La Terre des paysans - Raymond Depardon

Comme d'habitude on poursuit la lecture: