"Il est des pays où les autobus ont la vie plus longue que les frontières"
Cette première phrase du roman, si simple en apparence, évoque une telle puissance littéraire qu'elle donne envie de découvrir sa signification. De quelles frontières parle-t-on dans ce roman? De celles mouvantes et douloureuses de la Yougoslavie.
Véra, une herboriste qui soigne les gens par les plantes et dispense sagesse et philosophie au sein de son cabinet, tombe un jour en descendant d'un bus en panne sur un drôle de duo: un jeune homme s'énervant sur le moteur d'une automobile en panne et menaçant un vieillard à l'intérieur. Pour réparer la voiture ils ont besoin d'argent que Véra leur avance sans savoir pourquoi. Quelques jours plus tard, le fils se présente à son cabinet et lui rembourse l'argent mais lui offre aussi un bidon de miel. Intriguée par ce personnage improbable elle recueille le récit de son aventure, étrangement liée à celle de ce bidon de miel.
Lorsque la Croatie proclame son indépendance, Nikolaï, apiculteur, se retrouve seul sur sa colline. Son fils aîné, Dusan, s'est engagé dans l'armée serbe tandis que le cadet, Vesko, travaille dans une entreprise d'état et vit avec sa famille à des kilomètres de là. En 1995, lorsque l'unité de Dusan, bat en retraite, il s'enfuit et part vivre chez son frère. Ils se rendent compte qu'ils n'ont plus de nouvelles de leur père depuis un moment et lorsqu'ils tombent sur une vidéo de soldats pillant et brûlant le village de Nikolaï les deux frères s'inquiètent sérieusement. Grâce à un contact, Mikhaïl, ils arrivent à obtenir des faux papiers et un laisser-passer de l'ONU, afin de traverser les régions en conflit et aller chercher ce père.
A travers cette épopée en apparence burlesque, c'est un conflit violent et l'absurdité de celui-ci qui se dessine en toile de fond. Des hommes qui avaient été à la même école, avaient fréquentés les mêmes lieux, habitaient le même quartier, s'entre-tuent pour des raisons ethniques, pour un bout de terre. "Si on lui avait dit, alors, que ses camarades de camping n'étaient pas de la même ethnie que lui! Quelle rigolade!Même les Macédoniens et les slovènes étaient des "nôtres"; du reste ils parlaient tous serbo-croates." Oui, mais voilà, les "nôtres" sont devenus "eux", "ils", "les autres". Et même le miel, au vertus pourtant réputées cicatrisantes, ne peut adoucir toutes les plaies.
Premier roman d'un éditeur et traducteur de talent, "Le Miel" est un véritable petit bijou à la langue fine et ciselée. La juste dose de recul, de poésie et d'humour pour traiter d'une sujet encore douloureux aujourd'hui. L'intelligence et le talent pour guider une plume magnifique au service d'un texte époustouflant. Un véritable bijou!
"Il y a d'avantage d'intelligence dans un essaim d'abeilles que dans n'importe quelle assemblée humaine, lui disait son père. Bien mieux: l'essaim est une personne, dont chaque abeille est une cellule. Nous nous croyons la seule espèce dotée d'esprit, parce que nous pouvons voir les contours de l'individu humain. L'intelligence du monde nous échappe parce que nous sommes trop petits pour voir ses contours."
- Présentation du livre sur le site de Gallimard.
- Le blog de Slobodan Despot.
- Une petite histoire des Balkans pour se rafraîchir la mémoire.